Les ténèbres recueillent mon âme. Elles l'enveloppent et l'engloutissent. L'étincelle disparaît. Un néant salutaire. La paix. Le silence. Ces remords qui m'aliénaient, ces maux qui m'entravaient, disparus. Si mon cœur est délesté, mon corps est comprimé. Je m'éveille. J'étouffe. J'ouvre la bouche pour respirer mais quelque chose s'infiltre dans le fond de ma gorge. C'est granuleux. L'obscurité m'opprime. Je n'y vois rien. Je suffoque. Je vais mourir.

Poussée par l'instinct de survis, je creuse. Je lutte contre un environnement dont je ne sais rien. Je vais mourir! Putain, je vais mourir! Cette certitude me permet de repousser toujours plus loin cet amas de sable. Je me soustrais de cette prison à grand renfort de désespoir. Les bras tendu devant moi, je redresse le buste. Je tousse. Je crache cette poussière qui encrasse mes poumons.

Une patrouille qui tourne mal. Une créature plus dangereuse que prévu. Ma peau déchiquetée. La vision de Dylan au-dessus de mon corps. Ses crocs. Son sang. Des flashs me parviennent par bribes décousues.

Ma cage thoracique se soulève et s'affaisse mais plus rien n'alimente mes poumons. Je respire par automatisme. La réalité se fraie un chemin. Elle s'infiltre de manière sournoise. Je me redresse sur mon séant, la mort dans l'âme. Littéralement. Devant moi l'océan s'étend à perte de vue. Un panorama magnifique qui me plonge dans une indifférence morbide. Je me contrefous de ce jeu de lumière dans le ciel, un panel de ton vif qui ravirait n'importe qui. Sauf moi.

Je suis morte.

Les ressacs de l'eau accompagnent mes pensées tortueuses. Je ferme mes paupières à la recherche de mes souvenirs, à la recherche de réponse. Certaines scènes se rejouent dans mon esprit mais la seconde suivante, elles m'échappent comme si on venait d'y déposer un voile. C'est lointain. Incertain.

Je suis morte.
Et assoiffée.

* * *

Mes pas, toujours, me guident vers lui. Ainsi donc, avec ou sans âme, mon premier réflexe demeure toujours le même. Malgré moi, un sourire désabusé anime la jointure de mes lippes. A l'aube d'une nouvelle ère, les protagonistes, eux, ne changent jamais. La dégaine aussi fraîche qu'un cadavre tout juste sorti de terre, je franchis la porte du Healing Spell.  

Ma gorge s'enflamme. Des pulsions violentes qui trépignent dans le tréfonds de mon être. Ce sang frais qui pulse à travers ses veines. Je peux l'entendre courir dans tout son corps, la vie. J'hume l'air et prend sur moi pour ne pas laisser le démon que je suis revêtir son véritable visage. J'ai envie de jouer un peu. Même si maman m'a toujours enseigné qu'il était incorrect de jouer avec la nourriture.

- Yue, j'espère pour toi qu'il te reste un peu de saké. J'ai passé une sale nuit.

Mais la tienne risque d'être pire.

Sans attendre de réponse, je me rend dans la cuisine. Combien de fois ce schéma s'est produit? Combien de fois suis-je entrée dans cette boutique pour m’anesthésier à coup d'alcool de riz? Une scène si banale, si anodine qui résonne différemment cette nuit. L'accoutumée veut que je fouille ses placards pour le démunir de ses crackers au fromage, en plus de sa bouteille de fort.

Un léger courant d'air chatouille ma peau aux endroits où mes vêtements sont déchirés. Yue va faire une syncope en voyant tout le sang qui souille mes vêtements. Je croque dans un crackers pour étouffer un rire et grimace aussitôt.

Beurk!

Je vérifie la date de péremption. Rien à signaler. Beh merde alors... ça a un goût de terre.

De nature attentionnée et beaucoup trop dans le social, Yue prenait effectivement l'habitude d'acheter les crackers pour moi. Bonne nouvelle pour lui, donc, il ne sera plus obligée de nourir l'être affamée que j'étais... et que je suis toujours, d'ailleurs. J'ai simplement changé de régime alimentaire et si d'ordinaire je me servais dans ses placards, il ne m'est pas impensable de me nourir à même sa veine. Après tout, comme je viens de le mentionner, Yue est d'une nature généreuse. Pourquoi cela changerait-il? Hum. Peut-être parce que je suis morte...

- Quoi? Tu n'es pas au courant? Je suis un nouveau régime.

Taquine, je laisse un sourire s'esquisser sur la commisure de mes lèvres. Nul besoin de mentir lorsqu'on a la possibilité de travestir la vérité. Le nippon s'approche de ma personne et son odeur s'intensifit aussitôt. Je me râcle la gorge et tente de me concentrer. Ne pas lui sauter au cou. Pas tout de suite. Pas comme ça.

Je me sers un verre de saké que j'engloutis d'une traite. Le liquide dégouline le long de mon gossier et sa chaleur se répand à l'intérieur de mon corps. Au moins une chose qui n'a pas changé. Je ne réalise que maintenant à quel point je suis gêlée. Si Yue me touche, ça ne lui échappera pas.

Désinvolte quant à sa question mais soucieuse de garder mon petit secret pour encore quelque temps, je prend soin de le contourner pour déambuler dans la cuisine, la bouteille d'alcool de riz entre les mains.

- Je te rassure tout va bien. J'ai croisé un démon et ça s'est vite transformé en carnage. La routine, quoi.

A quelques détails près, bien évidemment. Je suis un vampire. Un putain de vampire. Je sens toute cette force couler en moi, c'est grisant. Excitant. Quant à ce liquide vermeille que je devine sous sa peau, ce coeur qui pulse à travers sa cage thoracique... C'est indécent. Un appel tonitruant au meurtre et à la débauche.

Je dévie mon regard de sa jugulaire et fais craquer mon cou. Je suis raide. Une nouvelle gorgée d'alcool de riz m'aide à tenir la distance entre lui et moi.

- Et sinon, ta soirée, elle s'est bien passée?

Tant de banalité. Tant de préliminaires. Je joue avec la roue du temps dans l'espoir de gagner une illumination divine. Comment vais-je bien pouvoir torturer cette âme si pure et chaleureuse? Je veux le briser. Anéantir cette humanité ancrée dans sa chaire.