Depuis qu'ils étaient entrée dans la voiture, il n'avait pas vraiment parlé. Il donnait à peine signe de vie, à moins que la blonde ne lui parle directement en quel cas il se contentait de donner la réponse la plus direct et courte possible. Il est évident qu'il est encore dans ses émotions. Froid, inerte, on le comparerait à un cadavre et c'est comme ça qu'il se sent. Vide de vie ou de sens. Il a beau être un guérisseur, il n'a jamais eu à vivre de tels pertes, depuis ses parents biologiques et ils ne se souvient presque pas d'eux, leur voix, leur odeur. Mis à part quelques photos et des souvenirs de temps heureux, il ne reste plus rien. Ça et une chanson dans sa langue natale qu'il utilisait plus que pour endormir Anastasia dans les moments de silences qu'ils partageaient suivant l'une des crises nocturnes de la russe.

Et ce souvenir lui provoque un pincement au coeur. C'était peut-être un souvenir aussi amer qu'heureux, mais le nippon y tiens, tout comme il tient encore à son amie; morte ou vivante. Même s'il revoit son visage vampirique prenant la place de celui d'Anastasia, il n'arrive pas à dissocier l'une de l'autre. Il sait qu'il devrait le faire mais tout se bouscule dans sa tête, dans son coeur. La peur de ce qu'elle est devenue, la peine qu'il éprouve face à cette perte, la culpabilité concernant son rôle dans cette histoire. Il est en colère, aussi. Il s'en veut, lui en veut. Il redoute aussi; il sait qu'il va la revoir et, la prochaine fois, il ne s'en sortira peut-être pas. Il ne sera pas capable de la tuer, non plus.

Les klaxons des voitures le tire de ce cycle de pensées négatives qui tentent de l'attirer dans un abysse duquel il ne pourra plus sortir. Il porte son attention sur la blonde qui s'époumone en injures dirigés vers les autres conducteurs. Yue ne peut empêcher un sourire en coin de glisser sur son faciès, visiblement amusé par la réaction de la chasseuse. Premier signe d'émotion depuis leur départ de l'hôtel et une autre vague le submerge quand Roxane détale à toute allure. Sous ses ordres, il met une met sur le coffre à gants et l'autre sur la porte; son déjeuner s'accroche aussi mais bien plus difficilement.

Puis la voiture arrête et Roxane lui annonce qu'ils sont là. Son amie lui offre un clin d'oeil que le guérisseur devine est supposé être un geste de réconfort. Il se donne la peine de lui faire un sourire, aussi triste soit-il; c'est mieux que rien. Toutefois, il arche un sourcil, se voulant moqueur.

"Ta conduite est nulle."

Il sort de la voiture et ferme la porte pour suivre la blonde vers l'arrière de la voiture qui dépose ses trucs au sol. Il replace la veste que la blonde lui à prêtée; elle est visiblement trop grande pour lui. Elle aurait les lui donner directement dans ses mains mais c'était pas son style. Sans un mot, il prend ses deux sacs - une sacoche et un sac à dos - et suit son amie qui, à sa surprise, va vers l'arrière et non pas vers la porte d'entrée. Restant près d'elle, il comprend qu'elle préfère entrer par la fenêtre et Yue refoule un souvenir qui tente de s'immiscer dans son cortex cérébral. Il n'a pas envie de repenser à la russe; il aura ses cauchemars pour ça.

La blonde s'annonce par la fenêtre et elle y rentre, comme si de rien était. Yue, moins agile, prend le temps de faire tomber ses sacs avant lui - il essaie également de ne pas les faire tomber sur autre chose que le sol. Heureusement, ses choses ne sont ni lourdes, ni fragile; le feu causé par la vampire n'avait pas beaucoup endommagé sa chambre, lui permettant d'apporter une bonne sélection de vêtement mais, pour le reste, c'était une autre histoire. Quelques tomes magiques importants qu'il put sauver ainsi que des ingrédients - pour ne pas se retrouver sans aucun moyen de concocter un remède - et plus rien. Ça et une peluche de laquelle il ne voulait pas se séparer.

Enjambant la fenêtre, il se laisse tomber et se retrouve les fesses au sol. Anastasia avait beau l'avoir trainer dans des situations similaires - et dans lesquels il avait normalement beaucoup moins de sang froid - il n'avait toutefois ni l'agilité de la Tueuse, ni celle de la chasseuse. Il se lève, replaçant rapidement ses vêtements et sa dignité qui avait chuté avec lui.

Son regard se porte sur l'appartement, analysant ce qui s'y trouve. Ce n'est pas le décor qu'il aurait mit chez lui, mais il cache à peine l'excitation - et la pointe de jalousie - lorsqu'il remarque quelques meubles antiques. Toutefois, il ne dit rien et reste légèrement en retrait. Il n'a jamais visité Basile et, mis à part une rencontre ci-et-là, ils ne se sont jamais vraiment parler. Yue ne comprend pas pourquoi il se trouve ici et sa timidité naturelle prend le dessus. Quoique, dans son état, c'est surtout qu'il n'a pas la force de la combattre. Il se contente d'un hochement de tête et d'un sourire mal à l'aise.  

"Désolé pour l'entrée. Roxane ne se conforme visiblement pas aux règles de politesses humaines. Elle est plutôt comme un chat de gouttière."

Apparement, ses sarcasmes ne le quitte pas, dans son état. Il envoi un regard à sa copine pour lui signifier qu'il plaisante. Il n'a pas envie de se prendre une claque en pleine gueule. Quoique, il ressentirait quelque chose, au moins...

Les notes de Call me maybe se diffusent en fond sonore, troublant que très peu la quiétude de ton appartement. D'excellente humeur, tu fredonnes les paroles de la chanson en te trémoussant pendant que tu termines de te servir une tasse de thé à la menthe poivrée. Oui, de la menthe poivrée! Tu te sens d'humeur aventurière en ce début de journée ensoleillée. D'ailleurs, tu te risques même à y ajouter une cuillère de sucre de coco. Ton breuvage enfin prêt, tu t'installes sur ton fauteuil et lâche un soupir d'aisance. Tu l'aimes, ce fauteuil. Il est presque aussi vieux qu'Elkan mais bon sang, ce qu'il est confortable. Tu as l'impression de t'assoir sur un morceau de nuage. Alors ouais, il est moche - selon les critères de Roxane - mais c'est ton petit havre de paix. Puis la chasseuse est la première à t'en déloger pour s'y installer, lorsqu'elle envahi ton appartement.

C'est également avec délice que tu commences la lecture d'un nouveau ebook. Bien que tu ai un style vieillot, tu ne peux pas nier l'utilité d'une lisseuse et t'es bien content que Roxane te l'ai offert pour noël. Même si dans la finalité, t'es certain qu'elle l'ai volé à quelqu'un. Au fil de ta lecture, ta bonne humeur s'amenuise. De manière inexpliquée, une forme de mélancolie s'empare de toi. Pourtant, le roman "Comment braquer une banque sans perdre son dentier" est riche en situation comique. De quoi t'arracher une multitude de sourires. Alors pourquoi, soudainement, cette envie de pleurer, d'hurler et de te terrer dans un coin? Pourquoi, d'un coup, la culpabilité te prend aux tripes au point de t'en donner la nausée? La réponse à tes questions te vient au moment même où la bouille de Roxane apparaît par la fenêtre.

— Grand-père Basile est demandé à l'accueil.

Malgré son sourire et son ton taquin, tu n'es pas dupe. Tes sourcils se froncent alors que tu reposes ton thé sur l'accoudoir. Dans quoi elle s'est encore fourrée? Sans attendre de réponse, la chasseuse enjambe ta fenêtre et s'incruste à l'intérieur de ton appartement, laissant derrière elle un invité surprise. La culpabilité et la colère que tu ressens émanent clairement de Roxane. Le reste, cette tristesse proche d'une lente agonie, ça appartient à Yue. T'es pas con et aussitôt l'inquiétude s'empare de toi. Qui est mort? Certainement pas Elkan, en tout cas. Sinon la chasseuse serait effondrée. Elle prétend être agacée par le nécromancien mais dans le fond, elle l'aime bien. Idem, ce n'est certainement pas Candace. Alors qui?

Tu quittes ton siège pour aider le guérisseur dans son entreprise. Roxane en profite pour s'installer dans ton fauteuil et piquer ton thé à la menthe. Lorsque tu arrives au niveau de Yue, celui-ci s'est déjà redressé. Alors tu te contentes de regarder bêtement les valises sur le sol, puis Yue. Il se passe quoi, exactement? Au sourire timide qu'il t'adresse, tu le lui rends.

— Désolé pour l'entrée. Roxane ne se conforme visiblement pas aux règles de politesses humaines. Elle est plutôt comme un chat de gouttière.
— J'imagine que c'est à prendre comme un compliment, qu'elle réplique avant de prendre une gorgée de ton breuvage.

Tu soupirs et te tournes vers la chasseuse. Elle n'est visiblement pas décidée à t'expliquer pourquoi ils sont ici. Ni à t'expliquer pourquoi tu as envie de te rouler par terre pour pleurer comme une fillette de six ans, ni même pourquoi tu te sens aussi coupable. Par contre elle est parfaitement capable de pointer du doigt les affaires de Yue.

— Tu peux déposer les valises de Yue dans ta chambre? Il va venir s'installer ici quelques jours.
— Quoi?

Tes yeux s'ouvrent en grand, surpris. Tu clignes plusieurs fois des cils, afin d'assimiler la nouvelle. Okay... d'accord. Tu tournes finalement ton faciès en direction du guérisseur. Peut-être que lui il sera moins avare en information.

— Il se passe quoi, exactement?

Bien que tu t'adresses à Yue, c'est bien de Roxane que provient cette gigantesque vague de culpabilité. L'espace d'une seconde, elle t'étouffe, te comprime la poitrine, t'empêchant presque de respirer.

Le sourire de son amie, il lui retourne. Compliment ou pas, vaut mieux qu'elle le prenne ainsi, non ? Mieux pour lui, pas pour elle. Son derrière de tête la remercie d'ailleurs de ne pas avoir eu de tel réflexe; Anastasia, elle, l'aurait fait. Et voilà qu'il repense encore à elle, son coeur se serre et il mordille l'une de ses lèvres pour tenter de se contenir. S'il ne le fait pas, son visage risque de le trahir, si ses émotions ne l'ont pas déjà fait, vu la nature du demi-démon devant lui. Demi-démon qui ne semble pas au courant de quoi que ce soit. Yue soupire, agacé. Sérieusement ? Elle allait vraiment le laisser à quelqu'un qu'il connaissait à peine, en plus de ne pas en parler à celui qui devait l'héberger ? Il se passe une main dans le visage, secouant la tête. Elle est incroyable, quand même.

Il n'est donc pas étonnant que c'est vers Yue que le grand brun se retourne. Sauf que le nippon se sent un peu pris de cours. Il est mal à l'aise. Normalement, ce serait à cause de l'attirance qu'il éprouve pour lui - il faut pas se le cacher, Basile ne le laisse pas insensible - et, en partie, s'il n'était pas coupé complètement du reste de ses émotions, c'est surement ce qui expliquerait sa timidité. Peut-être qu'elle en est partiellement responsable, il ne pourrait le dire. Là, ce qu'il sait, c'est qu'il doit lui expliquer pourquoi, ils sont là. Pourquoi il n'a plus de toit sur la tête et pourquoi il est dans un tel état. Sauf que, revivre la nuit précédente, il en a pas envie, comme il n'a pas envie de cacher à Basile la raison de leur venue ici. Ses yeux se posent au sol un instant, cherchant... quelque chose. Ses mots, sa contenance, il ne sait pas. Ses cils papillonnent doucement, cherchant à bloquer les larmes qui manquent de couler, qui trahirait la neutralité de son faciès qu'il s'efforce tant à garder. Il avale lourdement et inspire pour faire disparaître l'anxiété qui lui parcours les veines.

"Um... en fait, c'est que..." Ses yeux passent aux bruns, à la blonde puis à la carpette couleur vomit. Il devrait vraiment penser à mieux décorer son appart. Il les repose enfin dans les prunelles de Basile, s'empêchant de faire note des deux grains de beauté sous son oeil gauche. "Anastasia. Elle m'a attaqué. Elle a brûlé ma boutique." Il évite de mentionner le coeur arraché livré en cadeau directement sur le comptoir de la chasseuse. Il n'en a, sans mauvais jeu de mot, pas le coeur. Il décide de se concentrer sur autre chose que le sujet, visiblement trop affecté pour continuer.

"Je croyais que Roxane t'en aurait au moins parlé, avant de me faire entrer par la fenêtre mais je sais pas pourquoi j'en suis encore étonné." Il soupire mais force un sourire à prendre forme sur sa gueule. C'est pas exactement ça - il a plutôt l'air d'avoir des crampes d'estomac qu'il essaie de contenir - mais il essai. Au moins pour empêcher un retour d'hostilité de la part de son amie. "J'ai nul part d'autre où aller. J'irais bien à l'agence mais..." Il se mit à murmurer. "Je crois pas qu'Elkan m'aime trop." Il savait que l'idée qu'il squatte l'agence contre ses services ne serait pas bienvenue, alors encore moins qu'il y habite un moment. Il ne saisissait pas encore bien le nécromancien et les deux hommes n'avaient jamais vraiment passé de temps ensemble. Le guérisseur reprit sa voix normale. "Je peux toujours prendre le canapé. J'ai dormit sur pire." Genre, sur le plancher alors qu'il calmait Anastasia d'une crise nocturne, s'endormant en lui chantant une chanson de son enfance.  

La blonde lui tire un sourire discret qu'il tente de camoufler - apparement, ça lui fait plaisir que Roxane se mette de son côté, lorsqu'il mentionne Elkan -  mais le regard de Basile, qui visait pourtant son amie, le ramène à l'ordre. C'est son ami, quand même. Autant ne pas se mettre le demi-démon qui lui offre une place dans son appartement, sous la demande peu douce de la chasseuse. Et puis, au final, Yue n'a rien contre le nécromancien, si ce n'est une grand incompréhension et un certain malaise à l'idée même de discuter avec lui. Outre ces émotions, il éprouve un grand respect pour le sorcier - le fait qu'il pourrait le ramener à la vie pour l'utiliser en tant que marionnette étant une pensée jamais bien loin, en sa présence.

Évidemment, son sourire, il disparait rapidement à la mention d'un lit partagé avec Basile. Ses sourcils se froncent et il tente de jeter un regard noir à la blonde mais, avec ses joues qui deviennent rapidement rouges et la timidité qui le possède soudainement, il ressemble plutôt à un enfant contrarié qu'à un adulte en colère. Il maudit les gènes qui lui donne la bouille d'un chiot plutôt que d'un pitbull affamé. Heureusement, le demi-démon lui assure qu'ils ne partageront pas de lit ce qui réconforte le nippon - sauf que, serait-ce une pointe de désappointement qui s'extirpe légèrement de son coeur meurtri ? Non. Aucunement. C'est le malaise de le forcer hors de son lit, alors que ce devrait être lui qui prend le canapé. Oui. C'est exactement ça. Rien d'autre, madame-monsieur!

"Je- oui, je suis d'accord avec lui." Autant est il d'accord avec lui qu'il ne relève plus les yeux du sol, depuis les dernières trente secondes. La blonde ne le laisse pas mariner dans son jus d'angoisse. Malgré la finalité et la menace présente dans les paroles de la chasseuse, et le chagrin qui lui noue la gorge et lui serre la gorge, Yue sait qu'elle a raison. Sa sécurité, elle est temporaire. Anastasia, elle avait toujours aimé la traque et elle avait toujours trouvé ce qu'elle cherchait. Elle lui apportait parfois ce qu'elle cherchait, au détriment de sa boutique, mais elle arrivait toujours à ses fins. Et, ses fins, c'était lui, maintenant. Jamais il n'aurait cru se trouver chassé par la Russe. Jamais il n'aura pensé avoir peur d'elle. Pourtant, on y est. Il a peur. Il a de la peine. Il est en colère. Beau cocktail d'émotions qui doit peser sur Basile, qu'il sait empathe, et c'est la culpabilité qui se joint à la fête.

La blonde s'extirpe par la fenêtre avant qu'il ne puisse réagir, avant qu'il ne puisse la remercier, avant qu'il ne puisse la supplier de lui promettre de revenir. Il devra se contenter de ses dernières paroles, dans ce cas. Le guérisseur se retourne donc vers l'empathe, un faux sourire sur le visage - il ne fait aucun doute qu'il saura faire la différence, au vu de ses émotions, mais aussi parce que c'est le sourire le moins convaincant du monde.

"Um... merci. Et désolé, je sais que tout arrive un peu à l'improviste. Tout est arrivé si vite." Son coeur se serre encore. Rendu à ce point, son coeur à probablement la forme d'un bout de réglisse. Il arrive à peine à réaliser ce qui se passe. Tout change si vite, il ne suit plus et on le pousse vers un nouvel environnement. Il peine vraiment à se garder la tête hors de l'eau. "Tu sais, je peux prendre le canapé. C'est chez toi. On aura qu'à dire à Roxane que j'ai pris le lit. Tu sais comment elle est." Un petit roulement de yeux pour souligner son agacement. Sauf que, sans Roxane, il ne serait pas vivant. Il ne serait pas en sécurité. Il n'aurait probablement pas fait sa nuit. Il se sait choyé, de l'avoir près de lui. Dieux, merci...

Les interventions de Roxane se veulent légère, désinvolte et un brin espiègle. Tu n'es pas dupe, ce n'est là que de la poudre aux yeux pour cacher sa propre culpabilité, cette peine qui l'étouffe. Elle ne le dira jamais mais elle compatit plus que de raison à la souffrance de Yue. Cette même souffrance que tu te prends de plein fouet. Elle est là, aussi brûlante qu'un froid intense. Cette brûlure qui enferme ton cœur dans une tour de givre et t'empêche de te concentrer correctement.

Le départ de Roxane te laisse une sensation étrange. Pendant une seconde, t'as l'impression d'être un enfant abandonné sur le bord de la route, puis tu comprends que ça vient du guérisseur à côté de toi. Forcément, malgré ses airs de brute, la blonde a été là pour le guider, l'aider à survivre à la nuit terrible qui est survenue. Maintenant, c'est à ton tour de prendre le relais. Il se tourne vers toi, te sert un sourire aussi crédible que les excuses de Roxane lorsqu'elle mange ton dernier mochi au thé vert.

— Um... merci. Et désolé, je sais que tout arrive un peu à l'improviste. Tout est arrivé si vite.

Tu imagines bien que oui. Débouler à l'improviste, c'est une chose. T'imposer un colocataire, c'est encore autre chose. La situation doit être désespérée ou urgente pour une telle intervention. Non. Tu sais à quel point la situation est désespérée, à quel point la situation est loin d'être facile. Tu le sais puisque tu as une antenne directe sur les sentiments du nippon à tes côtés.

— Ne t'excuses pas, les amis sont là pour ça.

Okay. Tu ne le connais pas des masses, vos interactions peuvent se résumer sur les doigts de deux mains. Toutefois, tu n'ignores pas l'affection qu'éprouve Roxane pour le guérisseur. Et Roxane étant ton amie... alors oui. Tu es là pour ça aussi. Et dans un monde aussi chaotique que cruel, l'entraide est de mise.

— Tu sais, je peux prendre le canapé. C'est chez toi. On aura qu'à dire à Roxane que j'ai pris le lit. Tu sais comment elle est.

Cette remarque t'arrache un sourire. Ouais, tu la connais bien! Et tu n'as pas envie de lui mentir. Tout comme tu n'as pas envie de laisser Yue dans le canapé. Après les épreuves qu'il a passé, il mérite un lit confortable et une nuit de sommeil paisible. Alors tu prends en main les bagages de Yue et en guise de réponse, lui fais un signe de tête pour qu'il te suive jusqu'à la chambre.

Tu déposes les affaires de ton nouveau colocataire sur ton lit. Il aura tout le loisir de déballer ses valises le moment venu. D'ailleurs, tu en profites pour te rendre jusqu'à ta penderie que tu ouvres. Tout est parfaitement bien rangé, plié ou suspendu à des cintres. Méticuleux comme tu es, tu récupères ta petite valise, celle que tu prends pour tes missions hors de Crestwood et tu sélectionnes quelques vêtements que tu places à l'intérieur et ça dans le but d'offrir de la place à ton invité.

— Dans la mesure ou on ne sait pas combien de temps va durer la situation, je t'invite à prendre tes aises. Considère cet appartement comme le tiens. Dès demain, j'irais faire un double des clés, pour que tu puisses circuler librement, sans avoir à prendre la fenêtre.  

En peu de temps qu'il n'en fait, tu as libéré de l'espace et tu refermes ta petite valise que tu poses dans un coin de la chambre, près de la porte d'entrée. Tu regardes ensuite ton invité, puis le lit, et à nouveau ton invité. Pour une raison que tu ignores, les paroles de Roxane te reviennent en tête et tes joues prennent soudaine une teinte rouge. D'une certaine manière, tu maudis la chasseuse et cette capacité à te mettre dans des situations gênantes même quand elle n'est pas là.  Tu te râcles la gorge.

— Tu viens? Je vais te préparer un thé. Je pense que ça te fera du bien.

Surtout et avant tout parce que tu as des ingrédients magiques, capable de relaxer n'importe qui. Ce n'est pas pour toi que tu as une réserve entière mais pour Roxane et ses crises de colère intempestive. Tu ne vois pas d'inconvénient à mettre un peu de cette poudre magique dans l'infusion de ton invité, car il en a bien besoin. Tu quittes la chambre, sans vérifier si oui ou non il te suit, et tu t'affaires aussitôt en cuisine.

Amis. Yue n'avait jamais vraiment considéré sa place dans la vie de Basile. Enfin, ils s'étaient parlé, ici et là, à l'agence. Ils n'avaient jamais eu de conversations conséquentes, ils n'avaient même jamais parlé de choses idiotes comme la temps qu'il faisait. Il n'avait jamais eu besoin de ses services, non plus. Ce qui faisait du sens, maintenant que la question était levée dans sa tête; Basile avait un rôle similaire à celui de Coraline, à l'agence. Il n'allait pas vraiment sur le front et, honnêtement, Yue le voyait mal s'armer d'une épée pour trancher la tête d'un démon. Il ne dégageait pas l'âme du guerrier... un peu comme le guérisseur, au fond. Ce qu'il savait du demi-démon, c'est qu'il pensait ce qu'il disait. Et cette expérience, aussi horrible soit elle, les rapprocherait un peu. Enfin, pas de cette façon, parce que jamais il ne profiterait de sa tristesse pour se rapprocher du brun, mais ce serait l'occasion d'apprendre à le connaitre.

Ses yeux suivent les mouvements de son ainé qui s'empare de ses bagages. Yue tente de l'en empêcher, parce que ce sont ses affaires et c'est lui qui s'impose, il n'a pas besoin que l'homme prenne ses maigres valises en plus. Sauf qu'à part un étrange bruit qui ressemble à un étranglement de chat qui veut vomir une boule de poils, rien. Nada. Cuisante défaite. Il se tait donc et suit Basile dans la chambre - une sensation de malaise s'installe dans son estomac, parce que jamais il n'aurait cru que ces mots soient un jour aligné dans cet ordre précis - et le nippon ne peut que le regarder placer des trucs dans des valises. Main autour de son bras, il cache bien mal son malaise, ce qui aurait été inutile de toute façon, alors autant ne pas le cacher et lui faire sentir pleinement ce qu'il ressent. Son malaise et tout le reste. Basile parvient tout de même à lui arracher un sourire, face à sa dernière remarque.

"Ouais, la fenêtre, c'est plus la spécialité de Roxane." Il fait signe de tête vers son propre postérieur qui avait heurté le sol lors de son enjambée. "Merci encore. Pour la clé, la chambre, tout ça. Je... je sais pas quoi dire d'autre que merci." Les mots lui manque, c'est vrai. Il est tant habité à se débrouiller lui-même depuis la découverte de ses pouvoirs. Un isolement qu'il se força lui-même pour se comprendre et ne pas éloigner ceux qui comptent pour lui - ses parents, donc. Anastasia et Roxane, elles l'ont gardé en vie, ces dernières années, certes. Mais pour le reste, il se débrouillait seul. Sa boutique, son entrainement dans l'art de la guérison, tout. Mais il est évident que, en ce moment, la perte de son amie, de sa boutique, de tout ce dont pourquoi il avait travaillé, c'était hors de ses cordes. Surtout dans l'état dans lequel il était. De pouvoir compter sur Roxane, et maintenant Basile, son coeur en gonflait.

Jusqu'à ce qu'il se remette à penser à la nuit dernière, sa confrontation avec Anastasia sous une nouvelle forme vampirique et la part de responsabilité qu'il avait dans ses dernières tueries.

Un soupire profond s'extirpe de ses lippes avant qu'il reporte son attention sur Basile l'invitant à boire du thé. Il ignore la couleur rosé des joues de son sauveur, parce qu'au fond, il n'arrive pas à vraiment voir ce qui se passe autour de lui plus de trente secondes, et il se décide à le suivre, l'idée d'un thé chaud se trouvant être réconfortant. Il prend place sur une chaise dans la cuisine, ses mains prenant appui sur le comptoir. Il fixe ses doigts mouvant au rythme de son coeur meurtrie par la peur, la douleur, la tristesse. Puis, la culpabilité fait un retour fulgurant, dirigé cette fois vers Basile qui doit tout recevoir en plein fouet. En plus de se sentir mal, voilà qu'il infligeait sa douleur à un ami, un allié. Et il n'y avait rien à faire pour s'en empêcher. Quand il y pensait, il se sentait coupable, ce qui le culpabilisait encore plus. Une roue sans fin.

Le nippon ne pouvait donc pas s'empêcher de se demander le niveau de contrôle que le demi-démon avait sur son pouvoir. Est-ce qu'il pouvait bloquer ses émotions ou est-ce qu'il ressentait tout en bloc ? Est-ce qu'il pouvait voir une partie de ses pensées, comme Pearl pouvait le faire, selon ce qu'il avait entendu dire ? Est-ce que c'était quelque chose qui l'étouffait ? Est-ce que ses émotions lui causaient du tort ? Donc il avait mal par sa faute, non ? Et si... Yue arrêta alors son influx de pensé parce que c'était assez pour qu'une inquiétude infinie se couple à son anxiété pour qu'il empire la situation. En posant ses yeux sur Basile, il se rendait compte de l'effet que ses émotions avaient sur lui, même s'il tentait de le dissimuler ce qui eu pour résultat de coller un sourire triste sur le visage du nippon.

"Désolé. Je suis une catastrophe ambulante, en ce moment." Il détourna son regard vers ses mains avant de continuer. "Ça fait quoi ? Enfin, je veux dire..." Il se racle la gorge et il reporte ses yeux sur le demi-démon, hésitation les traversant. "Est-ce que c'est douloureux de ressentir les émotions des autres en permanence ?" Avec le bien-être du grand brun à coeur, même dans son état, Yue songeait déjà à une façon de supprimer l'effet que ses émotions pouvaient avoir sur lui. S'il était pour rester ici, il voulait pas servir d'objet de torture personnel. Ce serait une façon merdique de le remercier pour son aide...

D'un naturel timide, tu es le premier à être gêné en présence d'étrangers ou dans les situations délicates. Toutefois, au fil des décennies, tu as été en mesure de dompter cet aspect de ta personnalité. La dompter, oui mais vous savez ce que l'on raconte... chassez le naturel et celui-ci reviens au galop. C'est d'autant plus vrai lorsque la personne à tes côtés et d'un naturel réservé. Le malaise de Yue éveil en toi cette timidité. Tu te sens maladroit, pas à ta place. Machinalement, tu te grattes l'arrière du crâne afin de cacher ton embarras. T'aimerais te terrer dans un trou, loin de ton propre domicile.

— Ouais, la fenêtre, c'est plus la spécialité de Roxane.
— Ouais, que tu réponds simplement.

T'as soudainement peur d'ouvrir la bouche et de raconter des conneries. T'as conscience que ça ne vient pas de toi mais du nippon. Alors tu lui rends son sourire, autant dans l'espoir de le rassurer que par envie.

— Merci encore. Pour la clé, la chambre, tout ça. Je... je sais pas quoi dire d'autre que merci.
— C'est amplement suffisant.

Inutile de palabrer pendant des heures. Parfois, un mot, aussi simple soit-il, suffit. Parfois, un sourire sincère vaut tout les discours du monde. Alors oui, un merci, c'est tout ce qu'il faut en cette situation. Une agréable chaleur se répand un court instant et réchauffe ton cœur. Bien qu'agréable, tu ne t'attarde pas à et décide d'emmener Yue dans la cuisine. Il a besoin d'un peu de réconfort liquide. Non, pas de l'alcool mais un thé bien chaud.

Une fois dans la cuisine, tu sors deux tasses et mets de l'eau à bouillir. Machinalement, tu tripotes la chevalière à ton doigt lorsqu'une vague de culpabilité et de peine t'assaille. Elle est semblable à un tsunami et cela te demande une concentration toute particulière pour la mettre de côté. Avoir conscience que ces ressentiments ne t'appartiennent pas t'aide, mais ce n'est parfois pas suffisant. L'anxiété de Yue te gagne à tel point que tu commences à pianoter sur le plan de travail, dans l'attente que l'eau termine de chauffer. Cela ne semble pas échapper au guérisseur qui affiche un sourire triste. Sourire que tu lui rends, semblable à un miroir déformant.

— Désolé. Je suis une catastrophe ambulante, en ce moment.

Cette fois, tu fronces les sourcils et te pinces un instant les lèvres.

— Tu n'as pas à t'excuser. Nous sommes tous amenés à traverser des moments compliqués au cours de notre vie.

Et pour le coup, tu sais parfaitement de quoi tu parles. T'as connu la guerre. T'as connu les horreurs qui s'y rattachent et t'as subit ton don lors de cette période. Une époque de ta vie où tu n'étais pas mieux que le pauvre Yue en cet instant. Alors forcément que tu comprends et personne ne peut le blâmer d'être attristé. La bouilloire s'éteint toute seule, signe que l'eau est prête. Tu commences alors à remplir les tasses.

— Ça fait quoi ? Enfin, je veux dire...

Tu hausses un sourcil, un brin amusé. T'as comme une vague idée de ce qu'il va te demander et tu pourrais tout aussi bien compléter sa question mais tu le laisses chercher ses mots pendant que tu mets les sachets de thé dans vos tasses. Pour celle de Yue, tu te permets de rajouter de la verveine. Verveine qui a magiquement été pimpé, de sort à apaiser les esprits les plus troubles.

— Est-ce que c'est douloureux de ressentir les émotions des autres en permanence ?

Tu lâches un soupir et pousse la tasse destiné à Yue vers lui. Avant de répondre, tu prends le temps de t'installer sur un siège et d'entourer ta tasse à l'aide de tes doigts. La chaleur qui s'en dégage est réconfortante et tu humes une seconde l'odeur de camomille qui se mélange à celle de la verveine.

— La réponse est bien plus complexe qu'un simple oui ou qu'un simple non. C'est... compliqué. Certaines émotions sont parfois intense, et elles peuvent me submerger comme un véritable tsunami. Certaines peines te percent le cœur et te déchirent l'âme. Elles sont assourdissantes et là, oui, ça peut devenir douloureux sur le plan émotionnel. Sinon, il est vrai que parfois je parviens à ressentir les douleurs physiques mais ça ressemble d'avantages à des picotements plus ou moins intenses. Et j'ai remarqué que ça ne fonctionne qu'avec les personnes dont je suis proche.  

Comme par exemple avec Candace et Roxane, qui reviennent souvent toutes cabossées de leur mission. Tu quittes ton siège pour récupérer du sucre, du miel et deux cuillères que tu disposes sur la table avant de t'assoir à nouveau.

— Mais il y'a aussi des avantages. Je ressens aussi des émotions comme la joie, l'amour, la bonté, l'apaisement. Donc, dans la finalité, je ne suis pas le plus à plaindre.  

Tu prends deux carrés de sucres que tu rajoutes à ton thé. Maintenant que tu as pris le temps de répondre à la question du guérisseur, tu en as une qui te vient à l'esprit.

— Puis-je me permettre de te demander ce que tu ressens, lorsque tu guéris les autres?

Tout à ta question, tu touilles avec ta cuillère.

Cul sur sa chaise, le nippon fixe son nouveau colocataire. Rien que d'y penser, les mots sonnent si étrangers, comme si c'était un scénario qui était impossible. Dans un sens, ce l'était. Yue n'aurait jamais imaginé partager un appartement avec le demi-démon. Il n'aurait jamais pensé se retrouver dans sa cuisine à boire du thé et à se retrouver à lui révéler le fond de ses pensées, sans compter ses propres émotions. Le simple fait de lui parler était normalement assez pour qu'il se dépêche à échapper à son regard, visiblement perturbé en sa présence. Heureusement, ils n'étaient jamais seul et, il espérait, c'était donc plus facile de se fondre dans la masse alors qu'il se grouillait à entrer dans son local. Toutefois, ici, ce ne serait pas le cas mais il était bien trop perturbé pour ressentir quoi que ce soit qui trahirait le béguin qu'il entretenait en cachette.

À la place, il se concentre sur ce que le grand brun lui dit, une tasse de thé dans la main, lui offrant une source de chaleur réconfortante. Ses mots lui parviennent et, même si une pointe de culpabilité refait surface à la mention de la douleur qu'il peut ressentir. Est-ce que ce qu'il ressent lui fait sentir quelque chose comme ça ? Rien que l'idée d'être la source d'une telle douleur pour quelqu'un, comme Anastasia l'était pour lui à ce moment même, il se retrouvait avec une boule à la gorge. Une boule dont il avait peine à se débarrasser même si une voix intérieure lui disait de se calmer pour le bien de l'empathe. Au moins, à la vu des combats qu'il s'efforçait d'éviter, il ne lui causerait pas de douleur physique, c'était déjà ça.

Un petit sourire s'affiche aux lèvres du guérisseur à la mention des points positifs que son don peut lui apporter; un vrai sourire, cette fois. En temps normal, peut-être que, sans le savoir, il lui apporte une sorte d'apaisement. Des gens de leur entourage, il est probablement le plus tranquille, après Coraline. Cette pensée est suffisante pour le calmer un minimum face à son anxiété qui est si précaire, en ce moment. Au moins un répit pour Basile.

Une cuillère de miel et un carré de sucre s'enfonce dans le liquide dans sa tasse. Yue regarde le tout se dissoudre dans sa tasse et il réalise que, d'une certaine façon, il se sent comme sa tasse. Le thé, c'est les flammes ayant engouffrées sa boutique, alors que le sucre et le miel, c'est lui et ce pour quoi il a travaillé ces dernières années. Il pousse un soupire, visiblement atteint par la tristesse avant de prendre une gorgé de du liquide chaud qui hydrate sa gorge, espérant y noyer son chagrin. Moins facile qu'avec une bouteille de saké mais, déjà, ses nerfs se décrispent, lentement, légèrement alors que la question de Basile lui parvient au oreilles. Yue camoufle son étonnement face à la question; il n'avait jamais pensé qu'il lui aurait retourné la question.

"Oh, um, je dirais que je me sens épuisé ?" Il pense, cherchant les bons mots pour expliquer ce qu'il ressent. Pour pouvoir mieux imager le tout. "En fait, quand je guéris, c'est un peu comme si j'utilisais de ma propre énergie pour la diriger vers une personne,ou... ou une blessure. Au fur et à mesure que la peau se recoud, que les os se rafistolent, c'est un peu comme si on tirait quelque chose en moi. Un peu comme si on vidait un réservoir." Il remet en question ce qu'il dit pendant un instant. Non, c'est vraiment ce qu'il essai de dire. "C'est exténuant mais je pourrais pas trouver quelque chose qui me rempli autant de fierté que de faire ce que je fais." Un autre pointe de sourire illumine doucement son visage à la pensé de ce qu'il accomplit. "De savoir que j'ai pu aider quelqu'un, que j'ai pu lui sauver la vie, ça vaut tout l'or du monde."

Le guérisseur prend une autre gorgé de son thé avant de vraiment poser son regard dans celui de l'empathe. Pour quelqu'un qui a pu voir autant de chose, qui a pu les ressentir encore plus fortement que d'autres, il ne semble pas avoir de ressentiment. Il est la définition même de l'empathie, ironiquement. Pourtant, il a surement dû être témoin des pires émotions humaines et il ne semble pas les détester pour autant. Une sagesse se dégage de ses yeux, venant comme confirmer qu'il a une expérience que le nippon ne pourrait pas comprendre. Il doute que même Roxane ou Candace soit en mesure de le comprendre. Ce qui ramène son train de pensées au passé, au passé de Basile, pour être précis. Hésitant mais plus relaxe qu'à son habitude - sérieux, ça lui vient d'où, cette envie de poser des questions et de le faire - il pose sa tasse sur le comptoir, prêt à lui demander la question qui lui brûle les lèvres, comme s'il s'apprêtait à faire un exposé oral sur l'état politique actuel de l'Amérique.

"Quand tu parlais de moments compliqués, tout à l'heure..." Il essai de trouver la façon la moins insensible de lui poser la question. Quoique, est-ce qu'il y a vraiment une bonne façon de la poser ? "Tu semblais parler par expérience. Qu'est-ce qui t'es arrivé ?" Trop direct, peut-être. Hors personnage, oui. Sauf que le problème, c'est que le Yue habituel avait pris vacances ailleurs, laissant la place pour un habitant de Strangeville. Et le thé avait probablement aidé à ce qu'il se sente un peu trop à l'aise...

D'un hochement de tête, tu appuies les dires de ton nouveau colocataire. Tu comprends cette fierté qu'il éprouve à sauver la vie des gens. Roxane, sous ses grands airs désinvolte, éprouvent la même chose. Tout comme Candace, d'ailleurs. De ton côté, tu t'évertues à aider autrui car c'est dans ta nature la plus profonde. Un objectif de vie. Un besoin instinctif. Comme si tu essayais de compenser toute la noirceur de ce monde à l'aide de tes actions. Ces femmes en peine, ces hommes emplit de détresse, tu es incapable de laisser ces âmes dans la tourmente. Ton don est semblable à une pièce de monnaie. D'un côté c'est une bénédiction et de l'autre, une véritable malédiction. Incapable de fermer les yeux, tu ne peux qu'agir.

Tu détournes ensuite ton regard pour admirer le fond de ton verre. Tes pensées se perdent sur les paroles du guérisseur. Ce que vous faites, lui, les membres de l'agence et toi-même, ce n'est pas rien. Vous contribuez, à votre échelle, à rendre le monde meilleur. Vous contribuez même à le sauver, parfois. Puis il enchaîne sur une nouvelle question à laquelle tu ne t'attendais pas. Tes prunelles chocolatées se posent sur lui, pris de court. Tu n'as pas le souvenir qu'on t'ai posé la question aussi directement. Mis à part Roxane et même là, tu avais senti toute sa gêne. Avant de répondre, tu prends quelques gorgées de thé, tout en t'assurant de ne pas te brûler la langue. Le liquide chaud t'apporte le réconfort dont tu as besoin.

— Mes pouvoirs se sont déclarés pendant la seconde guerre mondiale, en France. Je ne comprenais pas ce qui m'arrivait et je ne contrôlais rien. C'était un véritable enfer. Toute cette haine, cette colère, cette peur et cette détresse...

Te replonger en cette période trouble ne t'es plus aussi douloureux qu'à l'époque. Aujourd'hui, tu es capable d'en parler avec le recul nécessaire pour ne pas replonger au cœur de ces abysses tortueuses. Tu ressens néanmoins le besoin de marquer une pause et de prendre une gorgée de thé, comme si le liquide chaud allait parvenir à adoucir les mots qui vont jaillir de ta bouche.

— J'ai sombré, pendant longtemps. Sexe, alcool, drogue, tout était bon pour éteindre ces émotions qui ne demandaient qu'à émerger à travers moi. Puis j'ai rencontré une empathe, comme moi. Elle m'a aidé.    

Puis il y'a le mal inhérent à ta condition d'immortel. Le temps passe, les années défilent et tu demeures intacte. Les corps autour de toi se flétrissent, les âmes périssent et toi tu persistes. Tu ne comptes plus le nombre de personne que tu as enterré. Parfois, tu penses à ce jour fatidique où tu te tiendra debout devant la stèle de Roxane, de Candace, ou d'Elkan. Et tu te demandes si tu seras capable de supporter une perte de plus.

— Et comme elle m'a aidé, je compte bien t'aider également à surmonter tout ça.

Le guérisseur le voit bien que sa question le percute comme une claque en pleine gueule. Sa réaction est minime, certes, mais les yeux de Basile ne mentent pas. Normalement, Yue se sentirait coupable, s'excuserait platement d'avoir été aussi brusque, de lui le faire replonger dans des souvenirs douloureux. Sauf qu'il veut savoir. Il a besoin de savoir, comme une junkie qui veut sa drogue. Il se dit que, si Basile a pu vivre des choses atroces et qu'il se tient toujours devant lui, peut-être que ce sera le cas, pour lui aussi. Peut-être que la mort d'Anastasia n'est pas la fin du monde, malgré le poids de sa tristesse qui lui pèse le coeur, malgré la douleur qui le lacère comme si on le flageolait constamment. Ce serait rassurant, à quelque part de savoir qu'on peut s'en remettre, non ? C'est ce qu'il se dit, qu'il se répète comme une chanson qu'on voudrait apprendre par coeur, une prière qui ferait un baume sur le coeur. C'est un peu la seule chose à laquelle il tient, à ce moment précis.

Le brun commence alors son histoire et, surprise, il est vieux. Bien plus vieux que ce que le nippon croyait. il aurait miser la mi-trentaine, un truc du genre. Pas l'âge d'un arrière grand-père. Quoique, demi-démon, c'est pas surprenant. Ignorant le fait que dans son corps, il se produit la même chose que dans celui de son interlocuteur, le nippon continue à l'écouter, se permettant une gorgée par-ci, par-là, sa tasse se vidant à vive allure.

Ses sourcils se froncent, son sourire se contorsionne en une grimace qui se veut sincère, emplie d'une empathie qui lui tord légèrement le coeur. Il s'en veut un peu plus, maintenant. C'est un passé douloureux, sombre. Une image qui ne concorde pas avec le Basile qui est devant lui. Le Basile si doux. Le Basile qui aide son prochain, qui se démène pour aider à l'agence. C'est à se demander quel côté de lui reste encore un mystère pour le nippon qui, au final, ne le connait pas tant que ça. Sauf qu'il le connait un peu mieux maintenant et, pour ça, il en est reconnaissant.

Puis un sourire apparait sur le visage du guérisseur. Un sourire bien discret mais un sourire vrai. Le premier depuis deux jours. Le premier qui réussit à craquer sa carapace d'angoisse, de désespoir. Il se sent toujours perdu mais, au moins, il sait qu'il a des gens à ses côtés. Basile, Roxane. Des perles qu'il a envie de cacher, pour garder pour lui, de peur qu'Anastasia les lui arrache aussi. Puis, il y a Candace, aussi. La seule qui avait un attachement similaire à la Russe. Il devrait aller la voir, elle aussi. Lui dire... quelque chose. Lui montrer son soutien.

"Merci." Il peine à soutenir le regard de l'empathe. Autant quelques minutes plus tôt avait-il put lui demander la pire question au monde, autant maintenant il n'arrivait pas à trouver les mots, sa gorge se nouant, serrant. Quoique, il savait bien qu'il ressentirait sa reconnaissance mais, tout de même, c'était un peu irrespectueux de ne rien dire et de laisser ses émotions parler pour lui. "Je sais pas comment je pourrai te rendre la pareille. Mais j'apprécie. Vraiment."

Subitement, le nippon s'étire, sa bouche tirant dans tout les sens alors qu'un bâillement s'extirpe de lui. Il est fatigué. Exténué. Il ne sait même plus quel heure il est; est-ce qu'il devrait aller au lit à cette heure ? En même temps, les émotions fortes, le manque de sommeil - parce que la nuit dernière ne fut aucunement réparatrice - tout s'était aligné pour qu'il ne puisse pas dormir pour les prochaines semaines. Sauf que, apparement, le thé avait fait effet. Bien plus qu'il ne l'aurait cru; plus jamais il ne remettrait en question les pouvoirs du thé. Yue se lève, avalant d'une traite le reste de son thé, posant ensuite son regard noisette sur Basile.

"Je crois que je vais aller me coucher, je me sens..." Un autre bâillement sort de sa bouche, incapable de le contrôler. Il repense à sa nuit dans la chambre de Roxane, le réconfort qu'il avait ressentit - après l'inconfort - alors qu'elle le serrait dans ses bras. "Ça te dirait de dormir avec moi ?" Les mots sortent avant qu'il ne s'en rende compte, puis, horreur. Figé, yeux grands ouverts, il réalise ce qu'il dit. Il bafouille, se met à reculer doucement vers la chambre. "Euh.. non, c'est... je voulais pas..." Il s'enfonce dans la chambre, la porte claquant derrière lui, un dernier "bonne nuit!" retentissant de la pièce.

Dos à la porte, il soupire, secoue la tête et se lance presque dans le lit, tête première. Un autre soupire. Peut-être que d'habiter avec celui pour qui il avait définitivement le béguin n'était pas l'idée du siècle, finalement. Pas dans son état...